Peut-on travailler moins et vivre mieux?
Un petit peu d'historique pour commencer (sans remonter à l'époque ou envisager de limiter le temps de travail des enfants était considéré comme une hérésie économique…) :
"Travailler moins et gagner plus" était un concept et une réalité des "Trente Glorieuses" (1946/1975), en particulier à l'époque du Général De Gaulle (1958/1969). Les congés payés ont été obtenus en 1936 (2 semaines). La troisième semaine de congés payés date de 1956. La quatrième semaine a été accordée en 1969. La semaine de 40 heures date de 1936. Après la guerre il y avait des heures supplémentaires pour reconstruire le pays. Le temps de travail réel était plutôt autour de 48 heures, il a progressivement diminué pour revenir aux 40 heures réelles. En parallèle le pouvoir d'achat augmentait très sensiblement pour tous. Puis il y eu la crise de 1973/1974 (premier choc pétrolier), ce qui marqua la fin des Trente Glorieuses. Le chômage se mit à augmenter. En 1981 il y a eu la retraite à 60 ans, en 1982 les 39 heures et la cinquième semaine de congés payés. A partir de 1983, la France s'est "Reaganisée" et Thatcherisée". En parallèle à la construction de ce qui allait devenir l'UE, de grands pans de l'industrie française ont été détruits, jetant dans le chômage et la misère de nombreux salariés. Cela s'est appelé la "modernisation" ! Il y eu les "nouveaux pauvres". Les ouvriers ont été abandonnés par le PCF. Le FN a commencé sa montée en puissance.
La "mode" chez les cadres a été de travailler plus sans gagner plus. Travailler 12 heures par jour sur cinq, voire six jours a été répandu dans nombre d'entreprises pour les cadres. Cependant le plafond légal (48 heures par semaine, 44 heures sur 12 semaines) a fait que des dirigeants ont été sanctionnés.
Entre 1997 et 2002, le gouvernement Jospin (dont Martine Aubry) a concrétisé le "Travailler moins et gagner autant pour travailler tous". Les 35 heures ont permis de sauver ou de créer entre 150 000 emplois pour les pessimistes et 750 000 emplois pour les optimistes. 350 000 emplois est un chiffre communément admis. Pierre Larrouturoux (économiste) était même en faveur de la semaine de 4 jours afin d'éradiquer complètement le chômage.
Nous sommes passés ensuite (Chirac 2002/2007) par "Il faut revaloriser la valeur travail" ce qui voulait dire, pour certains politiques : "Il faut que les français travaillent plus". Les 35 heures étant, selon eux l'horreur absolue qui expliquerait tous les maux dont la France souffre. On a même eu droit (Raffarin) à l'invention d'un nouveau concept appelé "journée de solidarité" qui consiste à faire travailler les salariés gratuitement ! Le Medef avait commencé à applaudir des deux mains sur ce concept avant de réaliser que les entreprises devaient payer une taxe à l'état (c'est de là que vient l'argent de cette "journée de solidarité") sans hausse de chiffre d'affaire pour compenser (cotisation de 0,3% de la masse salariale). Le Medef est devenu beaucoup moins "fan" de ce concept en réalisant que c'était en fait une taxe supplémentaire sur les entreprises. Les économistes ont calculé que cette journée crée du chômage : 30 000 chômeurs de plus ! Les salariés travaillent, mais ne sont pas payés. C'est une sacrée "Raffarinade" !
"Travailler plus pour gagner plus" c'était un concept des années 2007 à 2012 (Sarkozy). Concrètement, c'était : les 35 heures sont une base de référence de déclenchement des heures supplémentaires mieux payées (ce qu'elles étaient d'ailleurs dès l'origine, car il n'y a jamais eu de "plafond des 35 heures" contrairement à certaines affirmations fausses non relevées par les journalistes ignares ou complaisants) ; la nouveauté a été de faire des heures supplémentaires défiscalisées. Problème : les économistes indiquent que cela crée du chômage.
Actuellement, de plus en plus, cela se transforme en "Travailler plus et gagner moins" pour être compétitif et garder son travail. Certains veulent continuer dans ce sens. A l'opposé, d'autres proposent la retraite à 60 ans avec 40 annuités, voire aller vers les 32 heures et même créer un revenu universel (être payés sans contrepartie).
Alors peut-on travailler moins et vivre mieux ?
Bien sûr que non diront les obsédés de la "valeur travail". Selon eux, le travail est un dieu qu'il faut satisfaire. Non, évidement, diront les "réalistes" : il faut travailler plus pour être compétitifs au sein de la mondialisation actuelle.
Bien sûr que oui diront ceux qui prônent les 35 heures (voire 32 heures) et la retraite à 60 ans. Oui, évidement, diront les tenants du revenu universel.
En fait, pour répondre à cette question, il y a plusieurs angles de vue :
Le côté philosophique : Qu'est-ce que vivre mieux ? Est-ce consommer d'avantage ? Est-ce consommer mieux ? Est-ce consommer ou autre chose ? La vie n'est-elle basée que sur la consommation ? Quid des plaisirs gratuits ? Travailler n'est-ce qu'un travail obligatoire et rémunéré ? Quid des dons et du temps donné à une bonne cause ? Et le bricolage chez soi ou faire la cuisine ou aider aux devoirs, n'est-ce pas utile à soi, ses proches, à la société ?
Le côté économique : Le travailler moins et gagner plus ou autant a déjà été réalisé ("Trente Glorieuses" et 35 heures). Cela fonctionne économiquement sous certaines conditions. Nombreux sont ceux qui pensent que cela fait baisser le chômage. D'autres diront que cela crée du chômage, car on est moins compétitifs. En fait cela dépend de plusieurs facteurs.
Travailler moins pour travailler tous n'est pas idiot. A quoi cela sert de faire travailler Pierre 70 heures si Paul ne trouve pas d'emploi ? Ne peuvent-ils pas travailler 35 heures chacun ? Pierre Larrouturoux estime que la semaine de 4 jours est possible avec juste une petite baisse de salaire pour les gros salaires vu que le chômage a un coût et que les 32 heures éradiqueraient le chômage.
La mondialisation actuelle, en mettant les salariés du monde entier en concurrence les uns avec les autres exerce une pression sur les salariés, ce qui donne raison aux tenant du "Travailler plus et gagner moins pour être compétitifs et conserver nos emploi". Mais cette logique a une fin : travailler plus et gagner moins jusqu'où ? 70 heures par semaine ? 100 heures ? 12 heures par jour ? 18 heures ?… Gagner 300 euros ? 100 euros ? Juste un bol de riz ? Et puis, les pays comme la France, qui ont des hivers rigoureux, obligent à avoir des vêtements chauds, du chauffage, ce dont sont dispensés certains pays. Au bout du bout, dur de gagner la compétition.
La compétitivité peut se gagner avec la connaissance, la recherche et l'innovation. Mais je trouve particulièrement idiot de penser que les autres sont moins intelligents que nous. Pascal Lamy avait dit un jour, à propos des entreprises du textile qui fermaient en France et des ouvriers du textile français qui se retrouvaient au chômage : "Ce n'est pas grave si la Chine fait du textile, nous faisons des Airbus" !... Déjà c'est dur pour les ouvriers du textile de perdre leurs emplois ! Ont-ils trouvé du travail chez Airbus ?... Et puis les chinois seraient incapables de faire des avions ?... Qui peut réellement croire cela à part M. Lamy ? Il était patron de l'OMC à l'époque. Bon à savoir : des Airbus sont fabriqués en Chine. La chine et l'Inde ont de grands programmes spatiaux…
Et puis que fait-on des gains de productivité ? Le travail n'arrête pas de changer. Certains pensent même qu'il disparait. Sans aller sur ces extrêmes, force est de constater qu'avec la robotisation, la numérisation, "l'Ubérisation", de grands bouleversements sont en cours et ne sont pas près de s'arrêter.
Les gains de productivité peuvent être utilisés de différentes manières.
- Baisser les prix.
- Baisser le temps de travail.
- Partir plus tôt à la retraite.
- Commencer à créer un revenu universel.
- Gagner plus et consommer plus.
- Investir plus.
- Verser plus de dividendes aux actionnaires.
- Taxer plus (social, revenu universel… ou gabegie de l'état ?)
Nous avons l'exemple concret de Ford avec son modèle T (fabriqué entre 1908 et 1927). Avec le travail à la chaine, les gains de productivités ont été considérables. Il a baissé le prix de sa voiture et augmenté ses ouvriers afin qu'ils puissent s'acheter cette voiture. Cela a bien marché économiquement et a été un modèle mondial.
Après la deuxième guerre mondiale, les gains de productivité ont été utilisés pour augmenter le pouvoir d'achat (ce qui a créé de la demande) et réduire le temps de travail. Cela a bien fonctionné économiquement dans les pays avancés pendant ce qui a été appelé les "Trente Glorieuses". Cela a généré du plein emploi et une amélioration du niveau de vie.
Avec le plein emploi s'était posé la question de la quantité de main d'œuvre. Trois réponses ont été apportées :
- L'augmentation de la natalité (ce qui dynamise la demande dans un premier temps et donne de la main d'œuvre ensuite).
- L'immigration de travail. Avantage pour le patronat : main d'œuvre malléable et pas chère. Inconvénients pour les travailleurs : selon la loi économique de l'offre et de la demande (plus c'est rare, plus c'est cher et inversement), cela fait de la concurrence entre les travailleurs. Cela pousse à la baisse des salaires et des conditions de travail (ou, lorsqu'il y a plein emploi comme pendant les "Trente Glorieuses", cela limite les hausses de salaires et l'amélioration des conditions de travail). Cela avait été le choix en France notamment dans les années 60, du temps de Pompidou (1969/1974).
- La robotisation : cela a été le choix des Japonais notamment, ce qui leur a donné un avantage concurrentiel en ce domaine.
Avec la crise, née à l'époque des premiers chocs pétroliers (1973/1979), le chômage a commencé à monter. En parallèle, la mondialisation fait que la concurrence entre travailleurs se fait mondiale. Cela peut donner du travail dans certains pays (Chine, Inde…), mais crée des délocalisations et surtout moins de création d'emploi, voire de la disparition d'emplois dans les pays moins "compétitifs". A cela s'ajoute les nouvelles formes de travail (plateformes genre Uber, autoentrepreneurs…) et de modes de production (robotisation, informatisation etc.).
Nous voyons apparaitre, en France notamment, un chômage de masse depuis 1974 et surtout depuis 1983. Cela crée des déficits, de la misère, de la pauvreté.
Plusieurs solutions pour en sortir :
- Soit on reste dans la mondialisation sauvage actuelle (et l'UE actuelle) et il faut être compétitifs : formation, créativité, recherche/développement, mais aussi baisse des salaires, hausse du temps de travail, partir plus tard à la retraite.
- Soit on va vers une mondialisation régulée et une Europe faite pour le bien des peuples et pas pour la finance et les grands possédants. Cela permet de travailler moins et gagner plus, d'avancer le départ à la retraite, et même de commencer à envisager un revenu universel. Cela permet aussi une croissance régulée et tournée vers le développement durable. Il faut bien sûr maintenir et plutôt développer la formation, la créativité, la recherche/développement. Tout cela permet de vivre mieux.
La politique de continuer comme avant (1983/2017) est dangereuse car il y a risque d'explosion de la dette entrainant la ruine du pays, maintien voire aggravation du chômage et de la misère à haut niveau, risque de monter les français les uns contre les autres, etc. De plus, nous ne sommes pas à l'abri d'une nouvelle crise mondiale vu que la finance mondiale continue à faire "joujou". Citons la conclusion du film de Costa Gavras "Le Capital" : "Ce sont de grands enfants, ils s'amusent, ils s'amusent jusqu'à ce que tout pète". A noter que le titre du film est mal choisi car, ce qui est en cause, c'est la finance spéculative mondiale et pas le capital qui est l'une des composantes des entreprises (Entreprise = Capital + Travail).
Et, pour couronner le tout, on ne peut pas dire que la paix soit instaurée dans le monde !...
A noter que, pour des raisons budgétaires évidentes (compétition mondiale, effet d'appel d'air etc.), un revenu universel n'est pas compatible avec une mondialisation non régulée.
Le travail est extrêmement taxé en France (un salarié touche en net la moitié de ce que l'entreprise paie, et c'est avant impôt sur le revenu et TVA). La taxation des transactions financières est la meilleure solution, car elle permet de taxer la spéculation (néfaste pour l'économie) et détaxer tout ce qui est bon pour l'économie. Cette taxe ne doit pas être utilisée pour des dépenses nouvelles, mais pour détaxer le reste. La réduction des dépenses peut être une bonne chose si cela n'étouffe pas l'économie (baisse de la demande). La taxation des robots est une idée intéressante. La priorité aux entreprises nationales (ou européennes) pour les commandes publiques est une idée à creuser (les USA le font). La taxation des importations et/ou l'augmentation de la TVA peuvent être intéressantes s'il y a, en compensation, des baisses de charges pour les salariés et une augmentation des retraites et des revenus sociaux, afin de compenser ces surcoûts pour les ménages. La baisse des charges pour les entreprises peut être une bonne chose pour l'emploi (politique de l'offre), mais il faut voir le coût pour l'état par rapport aux créations d'emploi. La politique de l'offre est une bonne chose, mais l'économie marche sur deux jambes : offre et demande. Il faut comparer les gains pour le pays entre baisse de charges pour les entreprises (politique de l'offre) et augmentation du pouvoir d'achat et des grands travaux et grands investissements (politique de la demande). Pour ces derniers, il faut compléter la notion de dépense publique par la notion de retour sur investissement. Les entreprises ont besoin de carnets de commandes bien remplis. Une partie des commandes peuvent se trouver sur le marché intérieur, l'autre à l'exportation.
L'économie de la connaissance a l'avantage de ne pas détruire la planète et peut même la sauver.
L'économie numérique permet le développement économique avec une moindre pollution.
Les plateformes Internet permettent de développer de nouveaux métiers et de rendre de nouveaux services. Hélas, trop souvent, il s'agit de travail mal payé et mal protégé ("Uberisation" de la société). De plus, souvent, cela détruit, ou rend moins attractifs, des métiers plus anciens. Ne pas confondre "Uber" et "BlaBlaCar". Dans le premier cas, il s'agit plus ou moins de faire concurrence aux taxis. Dans le second cas, c'est plutôt une modernisation de l'autostop bien connu dans les années 60/70.
Vivre mieux : Cette définition varie en fonction de chacun. De nombreux facteurs sont à prendre en compte. La simple question : "Qu'est-ce que vivre mieux ?" mérite un café débat à elle toute seule. L'exhaustivité n'est pas possible dans ce débat, mais nous pouvons cependant citer quelques points. La sécurité tout d'abord. Nous avons en tête les attentats ; il y a aussi les autres formes d'insécurité (meurtres, viols, violences, vols, remise en cause de nos valeurs, de notre mode de vie, insécurité économique, sociale etc.) Et ne parlons pas de la guerre… La hausse du pouvoir d'achat peut être une bonne chose, cependant tout baser sur la consommation est trop limité (frustrations, déceptions, destruction de la planète etc.) La paix, la sécurité (physique, mais aussi sociale, sociétale et économique), la vraie justice, la fraternité, la santé, le bonheur conduisent à vivre mieux. Là aussi, chacun de ces points pourraient faire l'objet de cafés débats.
Nous avons de grands risques, mais aussi de formidables opportunités d'aller vers une vie meilleure. Il ne faut pas se tromper. Il faut refuser la régression économique, sociale, sociétale et culturelle que l'on cherche à nous imposer. Ne pas se laisser manœuvrer par la suffisance et le "prêt-à-penser". Rester objectifs et vigilants, avoir du bon sens (à ne pas confondre avec le sens commun). Il faut se considérer comme frères (ce qui n'implique pas forcément de vivre tous au même endroit et de tout accepter).
Il faut des choix pertinents et une exigence (morale, certes, mais surtout de compétence, de bonne vision et de bonne orientation) vis-à-vis de nos "élites".
Dans ces conditions, nous pouvons envisager de travailler moins et vivre mieux.
Jean-Marc
Avril 2017
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